"La Vie Tragique de Vincent Van Gogh" de Louis Piérard désormais disponible en version japonaise
Samedi 15 mars 2025
Visite dans le Borinage de Monsieur Koji Mori (Osaka, Japon)
C'est en 1924 que Louis Piérard raconte, pour la première fois, le séjour de Vincent Van Gogh dans le Borinage dans son livre "La Vie Tragique de Vincent Van Gogh".
En 2025, l'historien de l'art, Monsieur Koji Mori (Osaka) publie une traduction en japonais de l'ouvrage centenaire.
Ce samedi 15 mars 2025, à l'invitation de Raoul Piérard, neveu de l'historien borain et Président de la Fondation Louis Piérard, Monsieur Koji Mori s'est rendu dans le Borinage pour visiter les lieux où a vécu et travaillé le peintre hollandais entre 1878 et 1880.
Monsieur Koji Mori à la Place Saint-Pierre à Wasmes
"La Vie Tragique de Vincent Van Gogh", version en Japonais(édition 2025)
Monsieur Koji Mori et Raoul Piérard devant le"Salon du Bébé" à Wasmes
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Monsieur Koji Mori au Charbonnage de Marcasse
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Didier Donfut, Filip Depuydt et Monsieur Koji Mori à la Maison Van Gogh de Wasmes
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Didier Donfut, Filip Depuydt et Monsieur Koji Mori devant la Maison Van Gogh de Wasmes
Monument en hommage à Louis Piérard à Frameries
Letter from Louis Piérard to n/a
Belgium, 1939
[Reprinted from Louis Piérard, La vie tragique de Vincent van Gogh, Edition revue, Paris, Editions Correa & Cie, 1939.]
[Lettres reprises de : Louis Piérard, La vie tragique de Vincent van Gogh, Edition revue, Paris, Editions Correa & Cie, 1939].
La lecture d'un article de M. Pierre Godet dans L'Art Décoratif et les commentaires qu'il suscita dans une certaine publication protestante, Fol et Vie, m'incitèrent un jour à entreprendre des recherches dans mon pays natal sur cette période troublante de la vie de Vincent van Gogh. Je savais que Vincent avait été envoyé comme missionnaire dans le Borinage, rien de plus. J'ai patiemment interrogé les curés de nombreux villages et un certain nombre de leurs fidèles. Et j'ai enfin eu l'information que je cherchais.
C'était pendant une grève. Devant la salle des fêtes, un vieux mineur, accroupi, les genoux remontés au menton, la pipe entre les dents - dans la position de repos favorite des "tapeurs à la veine" - dit dans son patois grossier : "Le pasteur Vincent ? Si j'mein souviés ? Je l'crois bé !" [Je me suis efforcé de lui faire préciser ses souvenirs.
Dans son esprit, il revoyait Van Gogh, assis sur un tabouret dans la cour de la mine (au puits n° 10, Grisoeul), faisant des croquis de la cage et de "la belle fleur", de la charpente en fer, puis des mineurs émergeant, noirs de poussière de charbon, les yeux clignant à la lumière soudaine du jour, leurs lampes au poing...
J'appris enfin que Van Gogh avait été pensionnaire chez un certain Jean-Baptiste Denis, boulanger, et qu'il avait prêché dans l'ancien "Salon de Bébé" (dans le Borinage).
C'est donc ici que Van Gogh vécut après novembre 1878, dans le Borinage, vaste district minier des environs de Mons... La religion réformée y a toujours possédé, et y possède encore aujourd'hui, des noyaux importants. Dans chaque village minier, ou presque, il y a une église protestante, et dans certains cas, deux (l'une de l'Eglise nationale, et l'autre de l'Eglise libre, qui refuse les subventions de l'Etat)...
Enfin, après de longues recherches, j'ai trouvé dans le Tournaisis un vieux pasteur, M. Bonte, installé à Warquignies, village des environs de Wasmes, en 1878, qui a reçu Vincent van Gogh avec la plus grande gentillesse. Voici les notes qu'il a eu la gentillesse de m'envoyer :
Je voudrais vous satisfaire autant que possible en rassemblant quelques souvenirs de Vincent van Gogh. En effet, je l'ai connu il y a environ quarante-cinq ans au Borinage où il était évangéliste (et non pas pasteur, car il n'avait pas de diplôme théologique). Il a travaillé à Wasmes pendant environ un an.
Il était le fils d'un pasteur hollandais. Je me souviens bien de son arrivée aux Pâturages ; c'était un jeune homme blond de taille moyenne et au visage agréable ; il était bien habillé, avait d'excellentes manières et présentait dans son apparence personnelle toutes les caractéristiques de la propreté hollandaise.
Il s'exprimait correctement en français et pouvait prêcher de manière tout à fait satisfaisante lors des réunions religieuses du petit groupe protestant de Wasmes qu'on lui avait confié. Une autre communauté de Wasmes avait un pasteur. Il travaillait à la lisière de la forêt.
Notre jeune homme logea dans une vieille ferme à Petit-Wasmes. La maison était relativement jolie - elle différait considérablement des habitations du voisinage, où l'on ne voyait que de petites maisons de mineurs.
La famille qui avait accueilli Vincent avait des habitudes simples, et vivait comme des travailleurs.
Mais notre évangéliste a très vite manifesté à l'égard de son logement les sentiments particuliers qui le dominaient : il trouvait le logement beaucoup trop luxueux ; cela choquait son humilité chrétienne, il ne supportait pas d'être logé confortablement, d'une manière si différente de celle des mineurs. Il quitta donc ces gens qui l'avaient entouré de sympathie et alla vivre dans une petite masure. Là, il était tout seul, il n'avait pas de meubles et on disait qu'il dormait accroupi dans un coin de l'âtre.
En outre, les vêtements qu'il portait à l'extérieur révélaient l'originalité de ses aspirations ; on le voyait sortir vêtu d'une vieille tunique de soldat et d'une casquette râpée, et c'est dans cet accoutrement qu'il parcourait le village. Les beaux costumes dans lesquels il était arrivé ne réapparurent jamais et il n'en acheta pas d'autres. Il est vrai qu'il n'avait qu'un salaire modeste, mais il était suffisant pour lui permettre de s'habiller conformément à sa position sociale. Pourquoi le garçon a-t-il changé de la sorte ?
Devant le dénuement qu'il rencontrait au cours de ses visites, sa pitié l'avait poussé à donner presque tous ses vêtements ; son argent s'était retrouvé entre les mains des pauvres et on peut dire qu'il n'avait rien gardé pour lui. Ses sentiments religieux étaient très ardents, et il voulait obéir à la lettre aux paroles de Jésus-Christ.
Il se sentait obligé d'imiter les premiers chrétiens, de sacrifier tout ce dont il pouvait se passer, et il voulait être encore plus démuni que la majorité des mineurs à qui il prêchait l'Évangile.
Je dois ajouter que la propreté hollandaise était singulièrement abandonnée ; le savon était banni comme un mauvais luxe ; et lorsque notre évangéliste n'était pas entièrement couvert d'une couche de poussière de charbon, son visage était généralement plus sale que celui des mineurs. Les détails extérieurs ne le troublaient pas ; il était absorbé par son idéal d'abnégation, mais pour le reste, il montrait que son attitude n'était pas la conséquence d'un laisser-aller, mais une mise en pratique cohérente des idées qui gouvernaient sa conscience.
Il ne se sentait plus incité à s'occuper de son propre bien-être - son coeur avait été éveillé par la vue du besoin des autres.
Il préférait aller vers les malheureux, les blessés, les malades, et restait toujours longtemps auprès d'eux ; il était prêt à tous les sacrifices pour soulager leurs souffrances.
En outre, sa profonde sensibilité ne se limitait pas à l'espèce humaine. Vincent van Gogh respectait la vie de toutes les créatures, même les plus méprisées.
Une chenille répugnante ne provoquait pas son dégoût, c'était un être vivant qui, en tant que tel, méritait d'être protégé.
La famille chez qui il était en pension m'a raconté que chaque fois qu'il trouvait une chenille par terre dans le jardin, il la ramassait avec précaution et l'apportait à un arbre. En dehors de ce trait, qui sera peut-être considéré comme insignifiant ou même stupide, j'ai gardé l'impression que Vincent van Gogh était animé d'un idéal élevé : l'oubli de soi et le dévouement à tous les autres êtres était le principe directeur qu'il acceptait de tout cœur.
Ce n'est pas faire injure à la mémoire de l'homme que d'avouer qu'il a gardé, à mes yeux, une faiblesse : c'était un incorrigible fumeur. Il m'arrivait de le taquiner à ce sujet ; moi-même détestant le tabac, je lui disais qu'il avait tort de ne pas y renoncer, mais il m'ignorait - Les peintres ne peuvent se passer d'une petite tache d'ombre dans le tableau.
En ce qui concerne sa peinture, je ne peux pas parler en connaisseur ; d'ailleurs, il n'était pas pris au sérieux.
Il s'accroupissait dans les champs de mines et dessinait les femmes qui ramassaient des morceaux de charbon et repartaient chargées de lourds sacs.
On a remarqué qu'il ne reproduisait pas les jolies choses auxquelles nous avons l'habitude d'attribuer la beauté.
Il a fait quelques portraits de vieilles femmes, mais pour le reste, personne n'a attaché d'importance à une activité considérée comme un simple passe-temps.
Mais il semblerait qu'en tant qu'artiste aussi, notre jeune homme avait une prédilection pour tout ce qui lui paraissait misérable.
Voilà, monsieur, quelques souvenirs que ma mémoire vieillie a essayé de rassembler...
Louis Piérard a été sénateur socialiste du Hainaut, province à laquelle appartient le Borinage ; après la libération (1918), on l'a parfois appelé l'ambassadeur culturel de la Belgique. A ma question de savoir sur quoi il fondait ses déclarations sur les prétendues tentatives de Vincent pour calmer les grévistes, il a écrit la lettre suivante quelques semaines avant sa mort.
Club des écrivains belges de langue française.
Pen Club
Président : Louis Piérard
47, av. Victor Rousseau, Forest (Brux.)
téléphone 44.39.17.
Cher Monsieur Van Gogh, Bruxelles, le 8 octobre 1951
Je m'empresse de répondre à votre lettre du 4 octobre. Je suis heureux d'apprendre que vous préparez une nouvelle édition des Lettres de Vincent. Je vous remercie de bien vouloir accorder de l'importance aux détails que j'ai donnés dans mon livre sur le séjour de Van Gogh au Borinage.
La catastrophe à laquelle j'ai fait allusion, et au cours de laquelle Vincent s'est dépensé avec le plus grand désintéressement (ce qui est confirmé par la lettre du pasteur Bonte), était un de ces coups de grisou qui se répétaient dans la fosse de l'Agrappe à Frameries, près de Wasmes. Les victimes se comptent par centaines. La plupart sont des mineurs, tués sur le coup par l'explosion. Mais d'autres, les blessés, ont pu être brûlés par l'inflammation de la poussière de charbon.
Vincent tente de soulager les atroces souffrances de ces malheureux, en appliquant sur leurs brûlures des compresses imbibées d'huile d'olive.
Ces fréquentes catastrophes minières (il y en a eu trois, l'une après l'autre, à l'Agrappe et à la Boule) provoquent enfin un mouvement de colère et de mutinerie au sein de la population minière. Elle estime que l'inspection des mines n'est pas menée de manière à protéger le mineur et à garantir sa sécurité. Il y a donc eu des grèves qui étaient en fait des grèves de désespoir. De ce fait, les grévistes sont tentés de commettre des actes de violence et de destruction. Les gendarmes et même l'armée ont été mobilisés pour maintenir l'ordre. Il est fort probable que, pour éviter l'effusion de sang, Vincent soit intervenu et ait usé de sa grande autorité morale pour ramener les mineurs à la raison.
Je voudrais également faire allusion à la profondeur à laquelle les gens doivent travailler dans les mines. Savez-vous qu'il y a un puits à Quaregnon où l'on travaille en ce moment même à 1400 mètres de profondeur ?
Je vous prie de transmettre mes salutations à Mme Van Gogh.
Bien a vous
Louis Piérard,
47, av. V. Rousseau, Bruxelles
Voici une autre lettre. Je n'ai pas eu le cœur d'y apporter la moindre modification. Le bon boulanger qui l'a écrite et qui a vécu dans l'intimité de Vincent van Gogh ne verra pas d'inconvénient à ce que je la reproduise intégralement et fidèlement.
Monsieur Piérard,
Un beau jour de printemps, lorsque je vis arriver notre jeune ami Vincent van Gogh, richement vêtu, je ne pouvais m'empêcher de le regarder, le lendemain il rendit visite au pasteur M. Bonte. Se mettant immédiatement au niveau de la classe ouvrière, notre ami sombra dans les plus grandes humiliations, et il ne tarda pas à se débarrasser de tous ses vêtements.
Arrivé au stade où il n'avait plus de chemise ni de chaussettes aux pieds, nous l'avons vu fabriquer des chemises avec des sacs. J'étais trop jeune à l'époque.
Ma mère au grand cœur lui a dit : Monsieur Vincent, pourquoi vous privez-vous ainsi de tous vos vêtements, vous qui descendez d'une si noble famille de pasteurs hollandais ? Il répondit : Je suis un ami des pauvres comme l'était Jésus. Elle a répondu : Tu n'es plus dans un état normal.
La même année, il y eut un coup de grisou dans la fosse n° 1 du Charbonnage Belge, et de nombreux mineurs furent brûlés. Notre ami Vincent ne se donnait pas un instant de répit, jour et nuit, découpant les derniers restes de son linge pour en faire des pansements avec de la cire et de l'huile d'olive, puis il courait vers les blessés pour panser leurs brûlures.
L'humanité de notre ami grandissait de jour en jour, et pourtant les persécutions qu'il subissait grandissaient aussi. Et toujours les reproches, les insultes et la lapidation par les membres du Consistoire, alors qu'il restait toujours dans l'abaissement le plus profond ! Un jour qu'il était venu chez nous, il s'est mis à vomir sur le sol de la cave. C'était un trop grand luxe pour lui, il aurait dû rester dans une masure au toit de chaume. Sa nourriture se composait de riz et de mélasse, pas de beurre sur son pain.
Pourtant, il était toujours à l'étude ; en une seule nuit, il lisait un volume de 100 pages ; pendant la semaine, il donnait des cours à l'école qu'il avait fondée pour les enfants, leur apprenant à craindre Dieu, et en même temps il était occupé à faire des dessins de la photographie et des mines.
Par une journée très chaude, un violent orage éclate sur notre région. Que fait notre ami ? Il est allé se poster en plein champ pour regarder les grandes merveilles de Dieu, et il est revenu trempé jusqu'aux os. C'est ainsi que notre ami a été écarté de son ministère, qu'il est parti à Paris et que nous n'avons plus entendu parler de lui depuis. Et quand il marchait [c'était toujours] sur le bord de la route, cher ami, Monsieur Piérard, je ne pourrais pas vous en dire plus, je n'avais que quatorze ans à l'époque.
Certaines de ses caractéristiques sont restées gravées dans les mémoires. Lorsque les mineurs de Wasmes se rendaient à la mine, ils enfilaient de vieux gilets de toile par-dessus leurs vêtements de travail en lin, les utilisant comme des vareuses pour se protéger, dans les cages, de l'eau qui jaillissait des parois des puits. Cette misérable loque a profondément ému la pitié de Vincent van Gogh. Un jour, il vit le mot fragile imprimé sur le sac du dos d'un mineur. Il ne rit pas. Au contraire, pendant plusieurs jours, il en parle avec compassion lors des repas. Les gens ne comprennent pas. Cet épisode et celui de l'orage suffisent à convaincre Madame Denis "que le jeune homme n'était pas comme les autres". Son cœur de mère saigne pour lui... Elle écrit une lettre à la mère de Van Gogh, décrivant la vie misérable que Vincent mène dans sa cabane.
Une épidémie de fièvre typhoïde s'est déclarée dans le quartier. Vincent avait tout donné, son argent et ses vêtements, aux pauvres mineurs malades. Un inspecteur du Conseil d'évangélisation avait conclu que l'excès de zèle du missionnaire frisait le scandale, et il n'avait pas caché son opinion au consistoire de Wasmes. Le père de Van Gogh se rendit de Nuenen [sic] à Wasmes. Il trouve son fils couché sur un sac rempli de paille, affreusement usé et décharné. Dans la pièce, faiblement éclairée par une lampe suspendue au plafond, quelques mineurs aux visages pincés par la faim et la souffrance se pressent autour de Vincent. De grandes ombres fantastiques dansent sur les murs recouverts d'enduit.
Le missionnaire se laissa entraîner comme un enfant et retourna chez Madame Denis.
Van Gogh réalise de nombreuses conversions sensationnelles parmi les protestants de Wasmes. On parle encore du mineur qu'il est allé voir après l'accident de la mine de Marcasse. Cet homme était un buveur invétéré, "un incroyant et un blasphémateur", selon les personnes qui m'ont raconté l'histoire. Lorsque Vincent est entré dans sa maison pour l'aider et le réconforter, il a été accueilli par une volée d'injures. On l'appelait notamment mâcheux d'capelets, comme s'il avait été un prêtre catholique romain. Mais la tendresse évangélique de Van Gogh convertit l'homme.
On raconte encore qu'au moment du tirage au sort, les femmes suppliaient le saint homme de leur montrer un passage de l'Ecriture Sainte qui servirait de talisman à leurs fils et leur assurerait un bon numéro et l'exemption du service dans les casernes !....
On trouve des traces du séjour de Van Gogh dans le Borinage dans les archives des communautés protestantes. L'une d'entre elles est un rapport de l'Eglise du Bois à Wasmes, rédigé sous les "hauspices (sic) du synode". J'ai copié ce rapport et voici ce qu'il contient :
Monsieur le pasteur Peron, de Dour, est venu à Wasmes. Vu le nombre [des membres, sans doute] et les œuvres qu'ils pourraient faire, Messieurs Neven, Jean Andry et Peron susnommé, tous trois pasteurs du corps dirigeant de la Sté Synodale, sont convenus d'envoyer notre situation (sic) au Conseil Synodal.
Après avoir été commissionné, M. Peron vint à Wasmes, et s'étant mis d'accord, ils jugèrent à propos de faire le service à tour de rôle dans une salle que M. Peron avait visitée avec les membres du consistoire.
Après un an et demi environ, la Société Synodale a eu la bonté de nous envoyer M. Vincent ; après lui est venu M. Huton, tous deux évangélistes pendant quatre ans environ.
Nous avons été puissamment aidés dans l'œuvre d'évangélisation.
Et voici le rapport 1879-80 de l'Union des Eglises protestantes de Belgique, chapitre "Wasmes" [vingt-troisième rapport du Conseil synodal d'évangélisation (1879-80)] :
L'expérience d'accepter les services d'un jeune Hollandais, M. Vincent van Gogh, qui se sentait appelé à être évangéliste dans le Borinage, n'a pas donné les résultats escomptés. Si un talent d'orateur, indispensable à quiconque est placé à la tête d'une assemblée, s'était ajouté aux admirables qualités qu'il a déployées dans l'assistance aux malades et aux blessés, à son dévouement à l'esprit de sacrifice, dont il a donné de nombreuses preuves en leur consacrant le repos de sa nuit, et en se dépouillant pour eux de la plus grande partie de ses vêtements et de son linge, M. Van Gogh aurait certainement été un évangéliste accompli.
Sans doute serait-il déraisonnable d'exiger des talents extraordinaires. Mais il est évident que l'absence de certaines qualités peut rendre totalement impossible l'exercice de la fonction principale d'un évangéliste.
C'est malheureusement le cas de M. Van Gogh. Aussi, la période probatoire - quelques mois - étant expirée, il a fallu renoncer à le garder plus longtemps.
L'évangéliste M. Hutton (sic), qui est maintenant installé, a pris sa charge le 1er octobre 1879.
1879, année tragique : des épidémies de fièvre typhoïde, " la fièvre folle ", se déclarent, puis une grande catastrophe endeuille le pays (le coup de grisou de l'Agrappe à Frameries). Sans se soucier de lui-même, Vincent se consacre aux soins des malades et des grands brûlés, au visage noir et tuméfié.
Une grève éclate ; les mineurs mutinés n'écoutent plus que "le pasteur Vincent", en qui ils ont confiance.
Pendant ce temps, Van Gogh est de plus en plus occupé par ses dessins. Un jour, il part à pied pour Bruxelles. Il arrive chez le pasteur Pietersen en haillons, les pieds en sang, mais avec quelques-uns de ses dessins (Pietersen est un aquarelliste amateur). L'accueil est cordial et apaisant. Il est décidé que Van Gogh retournera au Borinage, mais cette fois dans une autre paroisse, Cuesmes.
Un de mes concitoyens protestants, M. G. Delsaut, qui l'a connu à Cuesmes en 1880, m'a envoyé quelques notes que je reproduis sans rien changer :
C'était un jeune homme intelligent, parlant peu - toujours pensif. Il vivait très sobrement : le matin, en se levant, il déjeunait de deux tranches de pain sec et buvait une tasse froide de café noir.
En dehors des repas, il ne buvait que de l'eau. Il prenait toujours ses repas seul et s'efforçait d'éviter de manger en compagnie. Tout en mangeant, il faisait des dessins sur ses genoux ou lisait. Il consacrait tout son temps libre au dessin. Il se rendait souvent au bois de Ghlin, au cimetière de Mons ou à la campagne.
Il dessinait surtout des paysages, des châteaux, un berger avec son troupeau, des vaches dans les prés.
Le dessin le plus marquant, dont ma belle-sœur, chez qui il était en pension, se souvient encore, était un dessin représentant la famille réunie dans la culture des pommes de terre, les uns creusant, les autres (les femmes) ramassant les pommes de terre.
Il a laissé derrière lui ses dessins et ses livres, mais ils ont tous disparu car la famille a été dispersée.
Sa pension était payée par son père, qui lui envoyait de l'argent. Il dépensait beaucoup d'argent pour acheter des Bibles et des Nouveaux Testaments, qu'il donnait lorsqu'il sortait pour dessiner.
Une fois, son père dut venir à Cuesmes pour faire cesser ses dépenses en livres.
Il partait dessiner, un tabouret de camping sous le bras et sa boîte de matériel de dessin sur le dos, comme un colporteur.
Lorsqu'il était agacé, il se frottait les mains comme s'il ne pouvait s'arrêter.
[Dans le Groene Amsterdammer (hebdomadaire d'Amsterdam) du 19 septembre 1925, Piérard ajoute ce qui suit à son récit].
Je croyais avoir recueilli tous les détails, jusqu'à ce que le vieux M. Denis, que j'ai rencontré il y a quelques jours, me raconte qu'un beau matin, alors que, selon son expression, "la rosée avait, pour ainsi dire, parsemé de perles d'argent les arbres et les fleurs du jardin", il était sur le point d'écraser une chenille sous ses pieds lorsque Van Gogh l'arrêta en s'exclamant : "Pourquoi voulez-vous tuer ce petit animal ? Dieu l'a créé..."
Lors d'une exposition de tableaux de Vincent à Mons (déc. 1946 - janv. 1947), j'ai reçu la lettre suivante :
A M. V. W. van Gogh,
Laren.
Quelques notes sur la vie de V. van Gogh à Wasmes, recueillies par ma grand-mère auprès de M. et Mme Denis (ma grand-mère était originaire de Wasmes, Borinage).
A Esther (Madame Denis, qui lui reprochait de déchirer son linge pour le porter dans les familles où il y avait des coups de grisou) :
"Oh, Esther, le bon Samaritain a fait plus que cela ! Pourquoi ne pas appliquer dans la vie ce que l'on admire dans les pages de la Bible ?"
Au même, qui lui reprochait de se précipiter le matin hors de la maison vers les malheureuses victimes, sans prendre le temps de se laver ou de lacer ses chaussures :
"Oh, Esther, ne vous préoccupez pas de ces détails, il n'y a rien de paradisiaque là-dedans".
A la même qui lui reproche d'avoir quitté sa maison hospitalière pour aller dormir sur un misérable grabat dans la masure d'une famille nécessiteuse : "Esther, il faut faire comme les autres :
"Esther, il faut faire comme le bon Dieu, il faut de temps en temps aller vivre parmi les siens.
P. Driutte,
Directrice d'école moyenne,
12, Rue du Grand Jour,
Mons.